dimanche 14 octobre 2007

"Séance exceptionnelle à Albi (France) pour le 8 mars : « Reines oubliées »"


Résumé
Ces femmes poètes et reines, oubliées simplement parce qu’elles furent femmes et que le pouvoir ou la littérature ne se concevait pas au féminin.

Alain présente Eugénie de Guérin, Tarnaise.
Alain est écrivain et poète. Il est professeur de lettres modernes à Gaillac et il est très impliqué dans la vie associative tarnaise. Il est président du musée du Cayla (musée de Maurice et Eugénie de Guérin) et auteur de nombreux livres, en particulier sur Eugénie de Guérin. Il a deux enfants et cinq petits enfants dont un qui a intègré l’école des mines d’Albi cette année. Il fait équipe avec sa compagne, Ghislaine…

Eugénie de Guérin est une princesse de l’écriture. Lamartine disait que son journal est le plus beau livre du monde. En 1925, son livre a déjà été édité 59 fois. Depuis c’est le trou noir. Elle est née dans une famille catholique, à une époque légitimiste (Louis Philippe). La gentillomière où elle vit est sur une colline, un lieu où souffle l’esprit. Elle est née en 1805, son père Joseph était le seigneur du Cayla et s’est marié avec une bourgeoise de campagne, Gertrude. Eugénie est une jeune fille de son temps. Elle a deux frères et une sœur, dont Maurice qui est encore très connu alors qu’Eugénie est inconnue. Elle est une jeune fille sacrifiée : sa mère meurt quand elle a 14 ans et elle sera la maîtresse de maison et s’occupera de son jeune frère. L’argent sera pour les frères : l’aîné qui fera son droit et Maurice qui fait des études. Elle ne vivra que pour son frère. Elle sera même possessive. Elle sera une mère de moralité, elle obligera son frère à faire ses devoirs. La famille sera décimée par la tuberculose. Eugénie est inquiète, suivons-la dans son écriture : « Maurice nous arrive malade… Je crains pour lui… Je ne le quitterai que pour aller au ciel ». Puis à sa mort : « Mon âme vit dans un cercueil, tu étais le fils de mon cœur… Maurice, le cœur du cœur… Priez pleurez… Mon ami est-il vrai ? Toute ma vie sera un deuil, le cœur veuf, sans intime union »… Elle se battra avec Barbey d’Aurevilly pour faire publier les œuvres de Maurice. Elle était quasiment la servante de la maison : elle assure le ménage, elle s’occupe de la cuisine, gère le budget du domaine avec son père, s’occupe des volailles et fais la couture de la maison : « On y parle de poules et de dindons, l’un de ses bœufs, l’autre de ses moutons, et, tout en cassant des noix ou faisant des balais, on raconte des histoires de revenants ou de jolis contes de veillées. ». La vie est très rustique et rudimentaire : « Je me lève à 5 heures et je fais mes prières… Je travaille en bas en lisant ou je couds des sacs… Le soir, j’écris des lettres ou autre chose… Nous n’avions pour serviteurs que nos chiens ».
Malgré cela elle se forge une véritable personnalité : elle aime lire, les classiques, les romantiques et elle prend goût à l’écriture. Ce qui la sauvera car elle ne bouge pas du Cayla. La nature l’a doté d’une énorme sensibilité, un trait d’union avec Dieu et avec Maurice. Son journal nous révèle sa relation avec la nature : « L’été, nous sommes entourés de gerbes, de cigales et de poulets qui chantent sans cesse. Papa est aux blés, Marie et moi à la volaille et chacun s’occupe et se distrait… Le grand champs du nord est une mer jaune » ; « L’hiver, la détestable chose, l’horrible saison ! Un ciel terne comme une muraille, de la neige ou de la boue, quelques corbeaux, voilà tout ce que nous voyons ».
Elle correspond avec son frère Maurice et avec son amie Louise Bayne. Eugénie est très croyante : c’est la religion qui lui donne la force de supporter cette existence isolée du monde. Lisez son journal, son écriture est extrêmement fine, le style est très élégant, on y trouve beaucoup de renseignement sur l’époque.
Pour conclure, le sens du divin et de l’humain inspire une œuvre marquante de son époque : « Le soir, quand je suis seule, toutes ces figures de morts me reviennent. Je n’ai pas peur mais la mort a quelque chose qui effraie l’âme et la conscience ».


Victoria : Adosinda, belle et vaillante petite-fille de Pelayo
Victoria est professeur de français à la retraite, bénévole à l’Alliance Française, organisatrice du Condé (avec moi[1]), atelier de conversation sur les différences culturelles France-Espagne, de spectacles en français et des relations avec les collèges. Elle est mère de deux grands enfants et s’intéresse beaucoup à la culture française.

Adosinda a vécu au 8ème siècle. Son père était roi parce qu’il avait épousé la fille de Pelayo. Le roi Pelayo est celui qui avait repoussé les arabes au mont Covadonga, ce qui marque le début de la reconquête chrétienne en Espagne. Adosinda est devenue reine parce que ses frères se sont entretués. Elle était mariée mais n’a pas eu de descendant, alors elle a fait élever son neveu au monastère pour qu’il devienne un roi intelligent. Il deviendra le grand roi Alfonso II, protecteur des arts. Adosinda avait fait déplacé la cour à Pravia où on conserve beaucoup de restes de son règne : elle était importante parce qu’elle était intelligente, elle protégeait les arts et les lettres. C’est grâce à elle que le chemin de Saint Jacques existe. A la mort de son mari, elle a été chassée du royaume avec son neveu. Ce dernier est revenu, il et a été un grand roi, courageux, vaillant et juste.

Virginia nous présente Urraca, encore une reine
Virginia est professeur d’anglais à la retraite et mère de cinq enfants. Elle a deux petits enfants qui lui manquent déjà (nous sommes en France depuis avant-hier). Elle aime les langues et est amoureuse de l’histoire. Elle parle l’anglais, le français et l’italien. Elle a toujours conseillé à ses élèves d’apprendre le français.

La reine Urraca était reine d’Asturies, Léon et Castille. Elle était du XIIème siècle. C’est la première femme de pouvoir féministe dans l’histoire espagnole. Malheureusement, elle a été oubliée par les chroniqueurs ou, pire, les rares historiens qui s’en souviennent ont renforcé l’idée des chroniqueurs qui disaient qu’elle avait régné de façon tyrannique et féminine. Ils disaient que la politique ne pouvait pas être féminine. Ils ont créé une légende noire.
Son père, Alphonse VI, s’est marié cinq fois car il voulait un héritier mâle. Il a seulement eu Urraca comme enfant légitime avec Constance. Constance était alliée aux abbayes de Cluny qui l’ont protégé toute sa vie. Elle n’a pas pu avoir d’autres enfants et son mari avait d’autres maîtresses et des enfants à la cour. Elle racontait toujours des histoires de Bourgogne à sa fille Urraca et disait que son père était horrible. Elle a marié Urraca quand elle avait douze ans à Raymond, duc de bourgogne. Alphonse VI a donné le royaume de Galice à Raymond, pas à Urraca !
Urraca a eu deux enfants dont Alphonse qui deviendra Alphonse VII, l’empereur. Cette époque assez heureuse se finit lorsque Raymond meurt. Urraca a alors 26 ans. Pendant ce temps, son demi-frère, fils de la maîtresse Zaida, meurt. Il devait être l’héritier. Urraca devient donc héritière légitime. Elle doit se marier avec le roi batailleur, Alphonse d’Aragon et Navarre, selon la demande des nobles. Le mariage est un désastre. Il y avait des luttes incessantes, Urraca a même été enfermée et a dû être sauvée par les nobles. Elle a décidé de se séparer. Le pape a accepté la séparation pour raison de consanguinité. Elle a alors décidé de prendre les rênes de son destin. Elle fait alors ce qu’elle veut. Elle tombe amoureuse du comte de Lara et signe tous les documents officiels avec le comte et les enfants qu’elle a avec lui. Elle fait faire des bons mariages à ses enfants.
Ce n’est pas étonnant que les clercs et les chroniqueurs n’aimaient pas une femme aussi peu conventionnel. Elle était féministe car dans tous les documents qu’elle signe en cas de donation (j’offre la liberté à telle ville, un bâtiment à telle autre…) elle donne toujours à tous les habitants, hommes et femmes (et pas seulement les hommes).
Elle mérite qu’on s’en souvienne.

Arnaud présente la reine Hangé
Arnaud est documentariste, essayiste et commissaire d’exposition. Il est né d’une mère française et d’un père béninois. Il est membre de la collectivité Hangbé et papa de deux enfants. Il vit avec sa famille à Saint-Etienne et voyage beaucoup. Il a écrit un très beau livre sur la reine Hangbé.

Le bénin était le Dahomey avant l’indépendance avec la France. Le royaume du Dahomey est né à Abomey. Souvent cela commence avec une mort. DA était propriétaire du terrain et il a dit aux envahisseurs qu’il faudrait construire le royaume dans son ventre (d’où Dahomey, qui veut dire dans le ventre de Da). La dynastie est née au 16ème siècle. Le premier roi, Acaba, avait une sœur jumelle Hangé. Les jumeaux sont considérés au Bénin comme plus proches de Dieu. Ils sont inspérables, toujours ensemble, c’est la même personne. Acaba doit donc partager son trône. Mais le pouvoir ne peut pas être féminin. On ne retient d’ailleurs dans l’histoire officielle que douze rois et aucune reine. Or, il semblerait, on le retrouve dans la tradition orale, qu’elle régnée. Certains parlent de régence, d’autres de règne de trois ans, d’autres de douze ans… A la mort de son frère, elle a pris le pouvoir et son autre frère Agadja a éliminé les traces de ses actions en se les appropriant. Pourtant, au Bénin, les femmes jouent un rôle très important : l’armée proche du roi est féminine, ce sont les amazones, la garde personnelle des rois. La reine Hangbé a fait la guerre et a laissé une tradition guerrière féminine. Il y a aussi des métiers réservés aux femmes comme par exemple celui de potiers, métier accordé par la reine Hangbé. Il y a des cultes très forts où la femme est centrale : dans le vaudou, qui est né au Bénin, même si c’est un homme qui est le maître du couvent, ce sont les femmes qui sont responsables des initiations.
Je me suis intéressé à la reine à la mort de mon père. Nous allons parler toute à l’heure par téléphone à l’actuelle reine Hangbé qui est l’incarnation contemporaine de la première reine. Nous allons voir des images de son intronisation car j’ai commencé l’histoire à la mort de sa prédécesseur. J’ai recueilli onze histoires différentes que j’ai retranscrites dans ce livre. Cela apprend que lorsqu’on fait ce type de recherche, il faut du temps et qu’il faut faire attention à la façon, au moment et à qui on parle. Les histoires qu’on donne, il faut que la personne à qui on les donne soit capable de les garder, c’est pour cela que l’histoire africaine est fausse : ceux qui s’y sont intéressés sont souvent ceux qui ont voulu la faire disparaître. On leur a donc généralement menti. On est en train de réécrire l’histoire et Hangbé est en cours de réhabilitation. Mais cela remet en cause une façon de voir les choses. Cela aussi concerne un autre roi qui a été destitué par son successeur et éliminé. D’autres chroniqueurs sur place tentent de le réhabiliter.
La reine que nous allons avoir au téléphone est la neuvième réincarnation. On la choisit comme une femme qui a la tête sur les épaules, qui est ménauposée car elle perdra ses règles dans les six mois après sa nomination, qui est capable de tenir la maison. C’est un rôle problématique car elle doit faire des cérémonies, elle ne peut plus travailler, elle ne peut plus avoir d’hommes car elle ne peut pas avoir quelqu’un au-dessus d’elle, on doit donc lui donner de l’argent. Mais tout le monde est trop pauvre…

Débat avec la salle
Question : Comment vit socialement la reine Hangbé actuellement ?
R : elle est extrêmement pauvre. C’est difficile de refuser ce rôle. On lui dit généralement au dernier moment pour ne pas qu’elle fuit. C’est un bouleversement de personnalité. Au Bénin, on peut changer plusieurs fois de nom et de personnalité. Par exemple, maintenant son père s’agenouille devant elle, mais ce n’est plus sa fille. Elle a un rôle fondamental et que personne ne peut suivre faut d’argent. Si personne n’a d’argent dans une communauté, la communauté s’écroule.
Q : aurait-elle pu refuser ?
R : C’est moralement intenable. C’est une contrainte psychologique très forte. Elle se sent une responsabilité vis à vis de la famille, les liens doivent être maintenus. Entre les deux reines, la maison était ouverte à tous les malheurs. Les cérémonies ne sont d’ailleurs pas encore terminées faute de moyens.
Q : le collectif peut-il l’aider ? Ne se mettrait-il pas en porte à faux vis a vis du pouvoir en place ?
R : il faut savoir prendre des risques. Grâce au film, il y a eu un intérêt nouveau pour cette reine mais elle n’est pas acceptée car elle viendrait en concurrence avec les deux rois actuels qui sont aussi en bataille. Elle est plus légitime. Le fait qu’une ville l’aide n’est pas problématique. Elle est très contente que des gens s’intéressent à son histoire. La tradition n’est pas opposée à la modernité.
Q : quelles sont les relations des autorités avec cette femme ?R : le maire d’Abomey sera au téléphone avec la reine. Il y a des problèmes avec les autorités morales et religieuses, les rois. Pas avec la politique.

[1] Notes et présentations faite par Béatrice

Aucun commentaire: