dimanche 14 octobre 2007

Séance 6 - Juillet 2006 : "« L’homme espagnol » de B. Benassar, l’honneur et la mort"

Résumé
Nous avons choisi deux chapitres du livre de Benassar. Nous commençons à percer les mystères de l’honneur espagnol qui diffère fortement du français : ne pourrait-on dire « honra » d’un côté et « noblesse » de l’autre ?

Victoria : l’honneur dans l’histoire espagnole
Bartolomé Benassar est professeur d’histoire à Toulouse. Il a toujours écrit sur l’Espagne et parle parfaitement bien l’espagnol. Dans ce livre, il explique notre caractère et notre sens de l’honneur à travers des actes de mariages et de l’inquisition, les journaux des voyageurs étrangers qui ont été surpris par les espagnols.
S’il y a une caractéristique qui distingue les espagnols du reste du monde, c’est son sens de l’honneur qui imprègne toute sa vie. Il y a deux types d’honneur en Espagne : celui de la défense de la femme et celui de la pureté du sang.

D’une façon générale, selon, les Partidas[1], l’honneur, c’est l’idée que les autres ont de quelqu’un. Pour Jorge Manrique[2], il y a trois vies : la réelle, la réputation, l’éternelle. L’honneur touche à ces trois vies.
En principe l’honneur est une question privée mais au Moyen-Age, s’il y a suspicion sur l’honneur de quelqu’un, c’est le roi qui décide en final (liée à la fidélité au seigneur, si l’individu devient félon, il perd ses droits).

La défense de la femme
Calderon et Lope de Vega ont considéré (XVII siècle) que l’honneur est l’affaire de tous : c’est l’honneur de la femme offensée qu’il faut défendre (répercussion sur toute la famille). L’honneur est affaire d’orgueil. Les voyageurs étaient très étonnés que les hommes et les femmes espagnols préféraient mettre en danger leur vie plutôt que de perdre leur honneur. Pour les hommes, il s’agit de défendre la virginité de la jeune fille et pour la femme, de rester fidèle à son mari.
Au temps de Charles IV, sa femme n’était pas fidèle. « Notre honneur est en sûreté en tant que tête couronnée » ! Philippe IV qui courrait derrière les femmes, exigeait de ses maîtresses d’aller au couvent pour éviter qu’elles couchent avec un autre.

La pureté du sang
Quand les juifs ont été chassés d’Espagne (à la fin de l’inquisition, au XVIème), l’honneur était celui de la pureté du sang et cela officiellement jusque 1858. Il ne fallait avoir ni Maure, ni juif dans sa famille y compris dans les ascendants. Pour avoir une charge officielle, il fallait être capable de prouver cette pureté sur plusieurs générations. Malgré la modification de la loi en 1858 (retrait de l’obligation de pureté de sang pour occuper une charge administrative), elle est resté en vigueur sous Franco : il fallait montrer qu’on n’était pas juif pour rentrer en fonction à l’Université, de même dans l’armée (investigations systématiques dans les familles sur la religion et la politique sur plusieurs générations).
On peut en trouver l’origine à la reconquête de l’Espagne par les rois catholiques (la reine avait des conseillers juifs mais elle se sentait l’obligation de donner une ligne à son pays : la religion). Les rois catholiques ont contrôlé l’Eglise Catholique. Après la mort de Charles I, l’Eglise catholique a dominé les politiques religieuses du territoire espagnol : a par exemple assuré l’éducation de Felipe X et fermé les universités pour éviter les contaminations des autres points de vue.
Si on découvrait qu’un riche avait des ascendants juifs, c’était le déshonneur, l’ignominie.

Honneur et déshonneur dans toutes les couches de la société ?
L’honneur était (est ?) générateur de violence : le moyen de laver le déshonneur, c’était se battre en duel. Finalement, on a décidé d’être plus tolérant, une seule goutte de sang suffisait pour laver l’honneur.
Le contraire de l’honneur noble : el Picaro. C’est un personnage typique des romans espagnols : voler aux autres sauf aux amis. Même les escrocs ont un code de l’honneur.
Il arrive alors que seules comptent les apparences (l’Hidalgo pouvait mourir de faim mais il était noble).

Débat sur l’honneur
- Qu’en est-il aujourd’hui ?
- C’est démodé ! Quand tu dis parole d’honneur, personne ne te croit
- Ça dépend qui le dit.
- Je pense qu’il y a une persistance : dans la famille on transmet quelque chose. Il y a eu des suicides pour honneur ; Il reste une trace.
- Moi je crois aussi que ça a disparu ; Dans les journaux par exemple, on voit des horreurs sur un vol et un mois après le voleur peut marcher impunément dans la rue.
- La société a changé, la figure d’el Picaro est restée malheureusement !
- On vivait des apparences. Maintenant tout le monde fait n’importe quoi alors on se permet tout. Comme au restaurant, où tout le monde sait que tel homme est un trafiquant de drogue et on lui fait des courbettes.
- On a changé l’honneur pour l’argent : le pouvoir de « l’avoir ».
- Pour le français qui a aussi un honneur très fort, c’est bien de déroger à la loi si elle va à l’encontre de l’honneur. Le protestant réagit très différemment (voir l’éthique protestante de Weber).
- En Espagne, on est fier de voler. Un paradoxe ? En France, il y a beaucoup de scandale mais il y a une transparence, pas en Espagne.
- Tout le contraire du puritanisme des calvinistes en Amérique (notamment à Boston, Philadelphia, Michigan…). C’est horrible ! Ici (en Espagne) tout est permis, la religion n’existe pas. Il doit bien y avoir un juste milieu… Dans une entreprise publique, le personnel ne fait rien, vole. Dans le privé, c’est tout le contraire, il doit trop travailler. C’est pas possible, il doit bien y avoir l’équilibre.
- On croyait, en rentrant dans l’union européenne, qu’il y aurait un contrôle mais chaque pays continue avec sa ligne. En Allemagne, il n’y a pas cet européanisme. Ici on voyait trop de corruption de notre état. Ex : Marvella est sorti mais que connaît-on d’autre ? C’est le problème de toutes les mairies.
- Il y a un problème avec la loi du sol mais il ne faut pas tout noircir ; l’espagnol noircit tout sur l’Espagne...
- Comme le français…

“Bien mourir” par Marta
Vamos a hablar de esa fama que tenemos de estar obsesionado por la muerte. Bennassar, estoy de acuerdo, viene de que ama como locura a la vida. Ve la muerte como una continuación para disfrutar de la vida. Entonces, tiene menos miedo a morir. Tienes menos miedo si has bien vivido. España es el país en que hay menos suicido.
Hay un dicho español (del siglo XVI à XIX) que dice: “La ignorancia hace la feliz”.

Débat sur la mort
- No estoy de acuerdo: c’est une question de région, d’époque et d’éducation. En el siglo XX en la epoqua franquista, la mort c’est l’enfer (pour les Catholiques, c’est-à-dire tout le monde). On avait peur de la mort, si tu avais pêché tu allais en enfer. Mais tout est pecado, alors on va forcément en enfer. Le pêché est toujours au-dessous de la ceinture.
- Il y a contradiction, les gens vraiment religieux croient qu’ils vont au ciel, au paradis. Ils croient qu’ils font tout ce qu’il faut faire.
- La peur de la mort aujourd’hui c’est si tu ne crois en rien, l’histoire est finie, ça fait peur. En ce qui concerne le catholicisme, si ta mort t’attrape, tu ne peux pas t’être confessé à temps, c’est l’enfer. Si tu viens de confesse, tu es tranquille.
- La réforme calvinisme c’est le retrait de cette peur.
- Attention, avec le catholicisme, la peur de l’enfer était surtout pour manipuler les foules.
- Par exemple, les processions effraient les voyageurs : c’est la fonction de cette manifestation.
- Pourtant, à Séville, c’est la fête, ce ne sont pas des processions noires.
- La muerte nos es iguala a todo: Miguel del Assar, habla de una tumba común. La leyenda de la tumba dice: “aquí se acaba el gozo (le plaisir) de los injustos”.
- Quelle différence y a-t-il entre l’Angletterre et l’Espagne ? En Angleterre, le contrôle de l’église est très dur et personne ne dit rien.
- Pour le protestantisme, l’avenir est sur la terre. Pour le catholique, la voie est dans le ciel. C’est pour cela qu’il y a plus de liberté dans les pays catholiques : au fond, si tu vois la hiérarchie d’une église anglicane, elle est plus dure que la romaine. Le prêtre fait ce qu’il veut.
- Qui ne connaît pas dans son village un prêtre qui n’a pas eu d’histoire avec une femme... C’est permis. Jusqu’au XIXème c’était presque officiel que le curé ait la mancebilla.(voir la séance 15 sur la mort en Occident, d’après le livre de Philippe Ariès)

[1] Livre légal le plus important en Espagne. Rédigé par Alphonse X le savant, date de 1248, est rentré en vigueur un siècle après et est resté utilisé jusqu’en 1889
[2] Auteur de « las coplas a la muerte de mi padre », XIV-XVs. Neveu du marquis de Santillana, de la Rioja, berceau de la Castille.

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